Depuis déjà des années, des enseignants et parents d’élèves cherchent à mettre en place des modes vertueux de ramassage scolaire. A pied avec le Pédibus, ou en pédalant avec le Woodybus construit à Nantes. Notre visite des ateliers Humbird.
Plus de dix ans en arrière, j’étais secrétaire de rédaction pour les revues de pédagogie pratique La Classe et La Classe Maternelle imaginées par René-Louis Martin pour les enseignants du primaire.
S’inscrivant pleinement dans le cadre de l’éducation à l’environnement et au développement durable, des institutrices et professeures des écoles avaient déjà mis en place des systèmes de pédibus, que ce soit pour le trajet entre la maison et l’établissement scolaire, ou pour les sorties nature, piscine, culturelles, etc.
Plutôt que de se tenir la main, les élèves disposaient chacun d’une poignée à saisir sur un objet long fabriqué par eux-mêmes et qui pouvait par exemple prendre la forme d’un serpent. Au milieu des années 2010, un groupe du secteur de Rouen animés par les valeurs fortes de l’écologie, du respect des autres et de la solidarité a décidé de faire bouger parents et élèves autour du concept du vélobus. En 2016 l’agglomération Seine-Eure qui rassemble une soixantaine de communes a également voulu tenter l’expérience.
En commençant par l’école primaire Anatole France de Louviers, plusieurs établissements scolaires ont ainsi expérimenté dès 2016 le S’Cool Bus conçu par la société néerlandaise Tolkamp Metaalspecials. Entourant l’adulte, huit élèves pouvaient prendre place à bord, tout le monde pédalant, avec un effort soutenu électriquement.
Mais en 2020, l’essor de ce modèle pourtant très vertueux pour l’environnement a été stoppé très brutalement, en particulier en raison de la puissance du moteur qui est passé de 250 à 1 000 W. Les 15 engins transportant quelque 450 élèves pour six communes de l’agglomération Seine-Eure ne pouvaient alors plus être assimilés à des vélos à assistance électrique. Et 12 emplois ont été supprimés. Le sénateur du Bas-Rhin Jacques Fernique avait alors plaidé la cause auprès de la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili.
« La puissance n’était pas seule en cause. Il y avait aussi le poids de 650 kg avec les passagers qui était dépassé, et les dimensions. Il mesurait 4 mètres de long contre un maximum de 3,50 m, avec une largeur de 1,20 m au lieu de 1,15 m », complète Jean-François Robert. Le président cofondateur de Humbird, à l’origine du Woodybus, connaît parfaitement le problème. Le modèle qu’il a imaginé va faire revivre le vélobus dans l’agglomération Seine-Eure.
Le profil de Jean-François Robert est aussi étonnant que le Woodybus. A la base, il est ingénieur et créateur de motos de course. Ses connaissances techniques lui ont aussi ouvert les portes du journalisme dans le domaine. Les rebondissements, il connaît : « Avec Humbird, créé en 2018, je voulais développer une machine de course pour les grand prix de moto2. Le nom de l’entreprise fait référence au colibri. Mon idée était de présenter un modèle moins puissant que les habituelles motos d’endurance, mais aussi rapide ».
Cette recherche d’efficience n’a pas convaincu : « Je voulais faire aussi bien, mais avec moins. En consommant moins de pneus et moins d’essence, on avait moins besoin de s’arrêter, d’où un gain de temps. Ca n’a intéressé personne. On nous a même interdit de participer aux 24 Heures du Mans parce que notre moto était trop légère par rapport au règlement. Il aurait fallu la lester, et ainsi perdre l’avantage que nous recherchions ».
Les développements ont pourtant continué encore quelques mois, jusqu’en septembre 2019 : « Nous avions réalisé des essais en Espagne. Il faisait très chaud. Il aurait fallu remettre encore beaucoup d’argent. J’ai ressenti que nos efforts n’avaient aucun sens dans le contexte actuel. Je n’avais plus rien à faire dans ce milieu ».
La société n’a pas été dissoute. Mais son orientation a été modifiée : « Nous étions trois actionnaires. J’ai pensé à la production de vélomobiles ou d’un vélobus. Pour ce dernier, c’est le pédibus scolaire qui m’a inspiré. Quand elle était en primaire, ma fille a connu cela. C’est en montrant le S’Cool Bus de la société néerlandaise, arrêté en France à cause de la législation, que les associés ont opté pour lui. Nous avons réalisé une étude de marché. Pour financer le Woodybus, nous avons vendu à des collectionneurs nos trois prototypes de moto ».
Déception à Louviers en raison de la législation qui a condamné temporairement leur exploitation du vélobus, déception à Nantes sur le projet de moto de course efficient, Jean-François Robert lance cette expression que j’étendais régulièrement quand j’étais moi-même gamin : « Chat échaudé craint l’eau froide ».
Pas comme une fatalité, mais au contraire comme une mobilisation des forces qui dépasse les difficultés : « Pour notre cahier des charges, nous sommes partis de la norme relative aux vélos à assistance électrique. Le lien avec la compétition est pour moi évident. J’ai retrouvé le même plaisir et les mêmes contraintes d’efficience et de légèreté pour développer notre vélobus ».
La réalisation d’une première maquette grandeur nature en 2021 a été révélatrice : « Déjà, il nous fallait employer un moteur d’une puissance continue de 250 W au maximum. Ensuite nous devions avoir un poids à vide le plus bas possible pour ne pas dépasser les 650 kg avec les enfants et l’adulte au guidon. Nous avons pris du bois pour notre première maquette et nous sommes aperçus que c’est cette matière cinq fois plus légère que l’aluminium qu’il fallait utiliser pour les modèles commercialisés. Grâce à cela, le poids à vide est exactement de 200 kg ».
Pas de problème de résistance pour autant : « Prévoyant des pénuries d’aluminium et d’acier en raison de la Seconde Guerre mondiale, les Anglais ont construit en bois leur bombardier Mosquito. Cet exemple m’a permis de convaincre les associés. Après tout, nous sommes bien aussi dans une société qui va devoir gérer des pénuries. La solidité s’obtient avec une bonne intégration et en utilisant des corps creux ».
Le choix du matériaux à un impact très intéressant sur la durabilité du Woodybus : « Non seulement le véhicule est plus léger, mais en plus il est moins énergivore à construire et le bois est considéré comme un piège à carbone. D’où une excellente empreinte CO2. Nous contribuons ainsi à la préservation des ressources, et nous inscrivons dans la tendance low-tech ».
Humbird souhaite s’entourer des compétences les plus locales possibles pour son Woodybus : « Déjà nous avons voulu travailler avec des pièces découpées qui ne demandent pas un outillage spécial. Elles proviennent de plaques de contreplaqué réalisées dans les Deux-Sèvres avec du pin des Landes. L’usinage est effectué par une entreprise à Chemillé, pour la découpe laser et le pliage c’est fait à Fay-de-Bretagne, et la mécano-soudure à Saint-Herblain ».
En commençant la visite des ateliers, ce qui marque aussi, c’est l’adéquation entre le discours et la pratique. Divers collaborateurs rejoignent l’entreprise à vélo. J’ai pu en particulier découvrir un VAE familial électrique Yuba. Jean-François Robert se remarque davantage encore avec son vélomobile vert herbe tendre : « J’ai une quinzaine de kilomètres à parcourir pour venir ici ».
Derrière les bureaux, quelques exemplaires de Woodybus sont prêts à être livrés. Directeur général arrivé dans l’entreprise en mai ou juin 2023, Samuel Berthelot aligne quelques chiffres : « Nous avons déjà remis 19 Woodybus. Fin février, nous serons à 25 exemplaires en service, dont 10 dans l’agglomération Seine-Eure où le service de ramassage est organisé par Transdev. Ce sont donc des chauffeurs Transdev qui pédalent avec les enfants. Fin août, cette communauté va recevoir 5 ou 6 vélobus supplémentaires de chez nous ».
Ces premiers volumes ne tiennent compte que des Woodybus vendus : « Nous allons aussi développer la location, avec déjà 4 exemplaires. Il y a une demande pour cela en provenance de l’Ile de Ré. La location permet d’essayer et vérifier l’intérêt du vélobus avant d’en acheter. Alors que nous sommes maintenant dans la phase d’industrialisation pour la production en série, nous travaillons en parallèle nos modèles commerciaux. Nous pensons proposer la LLD ».
Un premier Woodybus circule déjà hors de France : « Il est en Belgique, au sud de Bruxelles, plus exactement à Court-Saint-Etienne. Nous sommes en train de terminer trois vélobus pour Strasbourg. Nous avons plusieurs demandes en provenance d’Alsace. De Lorraine, il y a Metz. Nous avons principalement livré nos véhicules dans le nord et l’est de la France. Nous ciblons aussi le reste de l’Europe du nord, en particulier les pays qui ont déjà une bonne culture vélo, comme les Pays-Bas, la Belgique, le Danemark, etc. ».
Ce premier modèle de Woodybus a été conçu pour transporter huit enfants de 6 à 14 ans : « Il va nous servir de base pour des déclinaisons plus intergénérationnelles. Par exemple en configuration six places pour des adultes et des ados, avec, en option, une banquette pour les enfants qui ne sont pas en âge de pédaler. Nous pensons équiper ainsi des parcs d’attractions ou de loisirs ».
A côté des exemplaires déjà livrables, deux vélobus ne sont pas encore couverts. Un toit attend dans l’atelier, avec déjà ses rivets prêts à recevoir la pince : « Il lui manque encore ses 2 m2 de panneaux solaires pour une capacité de 400 W. Avec des trajets de un à quatre kilomètres le matin comme le soir, le Woodybus peut être quasiment autonome. Le temps moyen de trajet est de 20 minutes. Il ne doit pas être trop long pour les enfants », m’explique Jean-François Robert.
Extractible, la batterie peut néanmoins être rechargée sur le secteur. Elle paraît si petite au regard des dimensions du véhicule : « Avec ses 630 Wh de capacité (48 V – 13,8 Ah), elle permet d’obtenir une autonomie d’une vingtaine de kilomètres. Quand les enfants sont dessus, le Woodybus roule à 15 km/h. En comptant les arrêts, la vitesse moyenne est de l’ordre de 10 km/h ».
Dans un coin de l’atelier, un moteur s’apprête à être posé. Il s’agit d’un Cyclee de Valeo : « Pour notre deuxième version de prototype, nous pensions développer notre propre moteur avec une société locale. Cette dernière a cessé son activité, ce qui nous a fait perdre un an. Nous avons alors trouvé un moteur-roue à arbre fixe et mouvement transmis par couronne. Il devait être installé sur une roue arrière. Puis le Cyclee de Valeo pour pédalier est arrivé, que nous avons adopté. Il entraîne les roues avant. Le pédalage des enfants agit sur les roues arrière ».
La première photo prise dans le grand atelier, où deux plateformes de Woodybus sont en cours d’assemblage sur tréteaux, surprend. Et ce, tellement la propreté et l’ordre règnent. Et ce mur bien blanc au fond, comme le sol : « C’était auparavant un studio photo ». En cours de montage, on observe facilement la simplicité des pièces qui s’assemblent comme un jeu Meccano.
L’atelier derrière est plus bruyant, avec le fonctionnement d’une ponceuse dont les poussières sont aspirées : « Nous recevons les pièces brutes. Une première opération consiste à bien les poncer pour que les enfants ne se blessent pas sur le vélobus. Elles sont ensuite huilées afin de résister au soleil et aux intempéries, puis suspendues pour séchage ».
Les process sont simples et efficaces. Avec leur éclairage puissant, les Woodybus se remarquent de loin. Ils sont équipés de clignotants et de feux stop. Dans la longueur et entre les enfants court un filet dans lequel ils peuvent déposer leurs affaires. Un équipement astucieux et surtout très léger. L’engin peut être déplacé au besoin par un seul adulte. L’assistance fonctionne aussi pour reculer.
Cleanrider et moi-même remercions beaucoup tout le personnel de Humbird pour son accueil. Un grand merci tout particulier à Jean-François Robert et à Samuel Berthelot pour le temps pris à répondre à nos questions et à nous faire découvrir l’atelier.
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