Une ville conçue et développée autour du vélo et des mobilités douces, utopie ou avenir du futur ?
Le vélo à assistance électrique et les engins de déplacement personnels motorisés (EDPM) continuent à avoir le vent en poupe malgré quelques freins à leur développement auprès du plus grand nombre.
L’espoir d’un nombre de plus en plus important de citadins, et également l’objectif avoué de certaines municipalités, est celui d’une ville d’où la voiture serait totalement et définitivement bannie. Une ville rendue aux piétons, aux mobilités douces et aux transports en commun. Nous y viendrons peut-être, et c’est déjà le cas de quelques centres de grandes métropoles qui ont, au cours des dernières décennies, appliqué une politique résolument tournée vers le vélo. On pense à Amsterdam bien sûr, mais d’autres lui ont emboîté le pas, comme sa petite sœur Utrecht, ou encore Copenhague au Danemark ou Malmö en Suède.
A ce sujet, si l’on veut comparer les deux principales civilisations occidentales, à savoir l’européenne et la nord-américaine, l’avantage est largement à la première. 9 des 10 villes les plus « bike-friendly » au monde sont européennes, la seule non-européenne étant la ville chinoise de Hangzhou. Aucune ville nord-américaine n’a réussi à figurer dans le top 10, San Francisco étant la ville américaine la mieux classée, à la 39e place. Portland et Seattle se trouvent également parmi les 50 premières, respectivement à la 41e et à la 50e place. Les métropoles américaines ne sont pas réputées pour être aussi favorables aux vélos que bon nombre de leurs homologues européennes, où la pratique du vélo pour les déplacements quotidiens est ancrée de manière plus profonde dans la culture.
Dans un bouquin sorti en 2017, Steven Fleming, un théoricien de premier plan en architecture et en conception urbaine en ce qui concerne le transport à vélo, imagine « Velotopia« , une ville intégralement pensée autour du vélo.
L’auteur avance que les villes les mieux connectées à l’avenir seront celles qui privilégient le vélo à la marche et aux transports en commun. Selon Fleming, les villes axées sur le vélo seront plus vertes et plus saines, mais aussi plus équitables et plus accessibles que les villes d’aujourd’hui, en plus d’être plus productives, confortables, sociales et divertissantes. Dans cet ouvrage, l’auteur encourage les lecteurs à avoir une vision ambitieuse, à réimaginer radicalement les villes et la vie urbaine autour du mouvement à deux roues.
On sait aujourd’hui que le développement de l’usage du vélo pour les urbains, notamment pour les déplacements domicile-travail, passe principalement par l’usage du vélo à assistance électrique. Viennent s’y ajouter d’autres modes de déplacement, comme les trottinettes électriques, les hoverboards et autres gyroroues.
Alors, à quoi ressemblerait une ville non pas adaptée, mais bâtie intégralement autour de l’usage de ces nouveaux moyens individuels de déplacement ?
Regardons d’abord d’un peu plus près le concept Velotopia.
Velotopia adopte une forme circulaire autant que la topographie le permet, pour la simple raison que les habitants demandent toujours à vivre près du centre-ville, qu’il soit administratif ou commercial.
Le développement a été restreint aux terrains plats et les limites de la ville ont été fixées à un diamètre de 15 km. Cela garantit des distances de trajet moyennes de moins de 7 km et des durées de déplacement moyennes de moins de 30 minutes en vélo.
Les limites de 15 km définissent une superficie de 177 km². Au moins 30 000 personnes vivent dans chaque kilomètre carré, soit une densité moyenne équivalente à celle de Manhattan (y compris les parcs). Oui, ça fait beaucoup, mais si vous supprimez les voitures et les camions, c’est spacieux, en fait.
La ville n’a pas besoin de feux de circulation car il n’y a pas de risque de collisions puisqu’aucun véhicule ne dépasse 25 km/h. À la place, il y a de petits rond-points surélevés. En montant sur les monticules, les vélos ralentissent naturellement, suffisamment pour passer en toute sécurité, puis reprennent leur vitesse perdue en descendant.
Il y a une grande station de métro au centre de la ville, équipée d’une structure géante pour garer des milliers de vélos. Mais les trains partant de cette station ne se dirigent pas vers d’autres parties de la ville. Ils partent exclusivement à destination d’autres villes.
Parsemées autour de Velotopia, en dehors des limites de la ville, se trouvent des parkings pour voitures. Les visiteurs venant en voiture les garent ici et passent à l’un des quatre modes légaux – le vélo, la marche, les pédicabs (tricycles de transport de passagers) ou les navettes autonomes – pour entrer dans la ville. Bien que la plupart des habitants de Velotopia qui quittent la ville le fassent à vélo, certains louent des voitures à ces points en périphérie s’ils ont besoin de se rendre à l’extérieur.
En ce qui concerne les services essentiels, le transport de patients non urgents est effectué avec des pédicabs modifiés et la police effectue des patrouilles à vélo. Les vélos-cargos sont utilisés pour les livraisons aux maisons et aux petites boutiques. Les artisans, les entreprises de nettoyage, les jardiniers et d’autres groupes qui ne peuvent pas prouver qu’ils ont besoin de transporter plus de 500 kg pour leur travail sont également contraints de les utiliser.
En conséquence, et même si c’est une ville de millions d’habitants, il n’y a jamais plus d’une douzaine de véhicules lourds circulant dans Velotopia à un moment donné. Les camions de pompiers, les ambulances et les voitures de police ont des dispositifs de limitation de vitesse à 15 km/h, tout comme les camions, mais ils peuvent rouler à pleine vitesse sous sirène. Les véhicules d’urgence mettent moins de temps que dans une ville traditionnelle avec voitures grâce à la compacité de Velotopia et à la facilité avec laquelle les cyclistes peuvent se ranger sur le côté pour les laisser passer. En fait, tout est plus fluide.
Utopie ? Peut-être. Mais ce genre d’ouvrage de prospective pourrait aisément inspirer les urbanistes du futur, et même du présent. Ces spécificités sont-elles cependant suffisantes dans l’élaboration d’une ville 100% mobilités douces et électriques ? Peut-être pas.
Avec quelques années d’expérience et de recul par rapport à la sortie de cet ouvrage, voici quelques éléments qu’il nous paraitrait pertinent, voire indispensable, d’intégrer dans Velotopia.
L’intermodalité, un concept distinct de la multimodalité – qui réfère à la coexistence de divers moyens de transport en un lieu donné –, concerne l’utilisation de plusieurs modes de transport au cours d’un seul itinéraire. Un exemple courant est le passage d’une trottinette électrique en milieu urbain à une correspondance en métro ou en bus pour atteindre la périphérie, la trottinette étant alors pliée sous le bras. Malgré les avantages, il reste des défis à relever. Embarquer un engin motorisé à bord d’un bus, d’un tramway ou d’un train demeure souvent complexe, voire interdit. Dans le contexte de Velotopia, l’intermodalité pourrait trouver sa justification dans l’emport d’un vélo d’une ville à l’autre.
Le vol reste un obstacle majeur à l’adoption généralisée du vélo, en particulier des VAE plus coûteux, pour tous types de trajets, domicile-travail ou loisirs. Les autorités locales, en collaboration avec les gestionnaires de parkings, s’attaquent désormais sérieusement à ce problème en mettant en place des espaces de stationnement sécurisés pour les vélos.
Pour les trottinettes, étant donné la déclinante popularité du modèle en libre-service, un substitut à cette solution autrefois pratique et révolutionnaire émerge. Il consiste à garer sa trottinette sur des espaces réservés. Ainsi, des emplacements de parking dédiés aux trottinettes ont surgi en centre-ville, remplaçant souvent une place de parking automobile et pouvant accueillir entre 10 et 20 trottinettes.
La question du stationnement sécurisé se pose aussi pour les entreprises envers leurs employés. Elle englobe également la possibilité de garer vélos et EDPM dans les locaux ou bureaux de l’entreprise. Cette problématique s’étend aux espaces de coworking, souvent peu équipés – voire hésitants – vis-à-vis de ce besoin.
Les pistes cyclables ne se limitent plus à être de simples bandes de bitume. Elles deviennent progressivement des espaces de vie pour les déplacements doux, laissant présager l’émergence d’un écosystème semblable à celui qui a prospéré le long des routes dans les décennies précédentes. Certaines zones accueillent déjà des stations de gonflage, mais l’avenir pourrait réserver d’autres services adaptés à ces nouvelles formes de déplacement.
À l’instar des réseaux de recharge pour voitures électriques qui se sont rapidement développés, les VAE et leurs équivalents électriques en matière de déplacement individuel ont également besoin de recharge occasionnelle. Bien que la recharge à domicile ou sur le lieu de travail soit la norme, certains VAE ne possèdent pas une autonomie de 100 km. Ainsi, des bornes de recharge rapide (recharge à au moins 80 % en 30 à 60 minutes) le long des itinéraires cyclables pourraient devenir indispensables, d’autant plus si elles intègrent des prises USB pour charger simultanément les téléphones et fonctionnent à l’énergie solaire.
Le vélo, notamment pour le vélotaf, impose une contrainte : la tenue vestimentaire. L’arrivée au bureau par temps hivernal ou pluvieux, ou encore couvert de sueur en été, peut être rebutante. Cette réalité s’applique aussi aux vélos électriques et autres modes de déplacement individuels. Ainsi, disposer des équipements adéquats et la possibilité de se changer sur le lieu de travail s’avèrent cruciales. Dans l’idéal, les lieux de travail devraient offrir des espaces clos pour se changer ainsi que des douches, particulièrement dans les régions chaudes ou lors des saisons estivales.
Nous ne sommes pas encore à Velotopia, archétype de la smart-city, mais nous nous en approchons. Dans cette ville idéale pour certains – mais cauchemar pour d’autres, il faut aussi le comprendre et l’accepter – on imagine que le silence sera roi, que l’air sera enfin respirable, et que la paix et la sérénité règneront. C’est probable, d’autant qu’une ville ainsi conçue aurait probablement aussi une autre vertu induite, celle de faire baisser les chiffres de la délinquance et des incivilités souvent liées à certains comportements automobile. Encore faudra-t-il que les cyclistes, majoritaires, ne deviennent pas à leur tour vis-à-vis des autres usagers les automobilistes d’aujourd’hui…
La suite de votre contenu après cette annonce