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La moto électrique va-t-elle disparaître ?

« Quand je pourrai avoir une électrique au tarif d’une 750 thermique, avec les performances d’une 750 thermique, le poids d’une 750 thermique, et qui recharge en, disons, moins de 30-40 minutes, je passerai peut-être à la moto électrique ».

Autant dire que ce n’est pas demain la veille.

Et c’est malheureusement un discours que j’entends souvent quand j’interroge quelques amis motards dans mon entourage, dont certains possèdent déjà voiture et vélo électrique, et n’ont aucune opposition de principe à passer à l’électrique. Voire, qui le souhaitent réellement.

Je l’ai vécu également personnellement, à l’occasion d’un roadtrip de 1500 km que je souhaitais accomplir en électrique, et pour lequel j’ai dû finalement me résoudre à opter pour la location d’une moto thermique, car les conditions de ce voyage rendaient la chose pratiquement impossible en électrique, ou alors il aurait fallu totalement modifier l’itinéraire et prévoir plusieurs jours de plus. Je précise que je ne partais pas seul, et que mon camarade de voyage roulait lui en moto thermique. La donne aurait peut-être été différente si l’itinéraire avait été prévu dès le départ pour du 100% électrique. Mais j’ai quand même dû renoncer, alors que je roule électrique (voiture et vélo) depuis respectivement 5 et 7 ans.

Si cette typologie d’utilisateurs estime que l’offre n’est pas encore adaptée pour le basculement, et qu’eux-même ne sont pas prêts à sauter le pas, on peut considérer qu’il y a véritablement un problème de fond au royaume de la moto (et, par extension, du scooter) électrique. Un problème que viennent confirmer des chiffres récents, qui ne sont pas vraiment de nature à rassurer les différents acteurs du secteur, même s’il n’est pas vraiment nouveau.

Alors qu’a contrario, les ventes de voitures électriques continuent leur progression, qui semble désormais acquise et irréversible, que se passe-t-il du côté de la moto électrique ?

Il se passe que nous avons tendance à comparer jusqu’à confondre les deux marchés et à penser un peu naïvement qu’ils devraient évoluer de la même manière, dans une sorte de parallélisme qui parait naturel de prime abord.

Alors qu’ils ne sont absolument pas comparables, et que nous en avons désormais la démonstration, avec un peu de recul. Voyons ce qui cloche, ou en tout cas ce qui diffère.

Les prix stratosphériques

Commençons par le premier sujet, du genre qui fâche d’entrée de jeu, et qui constitue probablement l’écueil principal : celui du prix. On a l’habitude de dire que les voitures électriques sont souvent plus chères que leurs équivalentes thermiques, ce qui se vérifie notamment quand une marque propose les deux versions d’un même modèle. Une différence certes notable, même si elle a tendance à s’estomper au fil des années et de la croissance du marché. Prenons deux exemples. Tout d’abord la Jeep Avenger, disponible exactement dans la même configuration en thermique, électrique et hybride. Le tarif de la version de base thermique est de 24 500 euros, alors que la version électrique est à 38 000 euros. Différence de prix : +58% pour l’électrique. Autre exemple, plus huppé, celui de la BMW Série 5. La version thermique débute à 62 800 euros, alors que l’i5 électrique s’affiche à partir de 76 200 euros. Différence : +21%. Des tarifs qui, s’ils ne sont pas totalement représentatifs, donnent une idée du spectre des différences de prix entre voiture électrique et voiture thermique, au sujet desquels il est convenu de parler d’une différence générale de 20 à 30% au détriment des voitures rechargeables. C’est déjà beaucoup, mais la durée de détention et les usages permettent de lisser ou annuler ces différences, voire même de rendre le véhicule électrique plus rentable et moins coûteux sur sa durée totale de possession.

Dans le monde de la moto, ce n’est pas vraiment la même mayonnaise, et les différences de tarifs à engins comparables (si toutefois il est possible de le faire) sont beaucoup plus importantes, voire abyssales. Pour des prestations en retrait. Prenons là aussi un exemple. Une Honda NC750X s’affiche au tarif de 9 749 euros. Un modèle équivalent chez Zero Motorcycle , la DSR-X – pour ne mentionner que la marque la plus connue et réputée – commence à… 23 695 euros ! Vous avez déjà fait le calcul rapide dans votre tête, oui on est sur du +143%. Sans même parler de la Harley Davidson à 33 900 euros,  alors que son équivalente thermique la plus proche, la Sportster S, débute à 17 790 euros… C’est juste délirant, et l’on pourrait probablement multiplier les exemples à l’infini.

Conclusion sur ce chapitre, la moto électrique est un truc de riche. Donc de niche. Car tous les motards ne sont pas riches. Et, contrairement à l’automobile, il y a peu de moyens de lisser ou amortir ce surcoût à l’usage.

L’autonomie « citadine »…

Autre sujet sensible, celui de l’autonomie. Là encore, en automobile, la comparaison entre thermique et électrique ne joue pas en faveur de cette dernière, avec des rayons d’action réels souvent divisés par 1,5 à 2, soit environ 350 à 400 km d’autonomie en usage mixte pour une électrique contre 550 à 700 km pour une thermique essence. Mais en voiture, il est désormais acquis que l’autonomie n’est plus vraiment un problème, car d’une part les voitures électriques rechargent de plus en plus vite, et que d’autre part le mode de vie sur quatre roues est différent de celui sur deux roues. Ne serait-ce que parce qu’on a une carrosserie, et qu’un arrêt de 20 minutes pour recharger permet de se livrer à diverses activités au chaud dans sa voiture qui font passer le temps plus vite. En moto, la différence d’autonomie est identique, voire pire, notamment à 130 km/h sur autoroute, ou la résistance au vent est plus forte, et ne peut être que très partiellement compensée par l’aérodynamique. Ainsi, il n’est pas rare de constater qu’une moto annoncée pour un rayon d’action de plus de 250 kilomètres – ce qui est déjà assez modeste – ne dépasse pas 100 à 150 kilomètres entre deux recharges sur autoroute. D’ailleurs, Zero Motorcycles affiche sur son site les autonomies « en ville », ce qui en dit long sur le fait plus ou moins assumé que ses motos ne sont pas vraiment destinées aux voyages au long cours, même si une performance récente tendrait à démontrer le contraire. Alors bien sûr, il existe aussi des motos thermiques typées sport avec un réservoir à contenance réduite leur conférant une autonomie assez faible, disons en-deça de 350 kilomètres. Mais c’est largement suffisant quand on sait qu’une pause toutes les 2h/2h30 est recommandée, et que d’autre part on fait le plein partout en 5 minutes, paiement inclus. Ce qui nous amène au sujet suivant.

La vitesse de recharge en mode tortue

Si les constructeurs font ici aussi des progrès notables, la recharge en moto électrique reste beaucoup plus longue qu’en voiture. Même avec des options (coûteuses) permettant parfois de doubler la puissance de recharge en kW, on reste sur des temps assez rédhibitoires dans le cadre d’un voyage puisque dans les meilleures conditions on descend rarement en-dessous d’1h30 pour récupérer dans le meilleur des cas de quoi faire 200 à 250 kilomètres. Ce qui fait dire que la moto électrique est un engin fabuleux pour de petits déplacements et de la recharge en temps masqué (essentiellement nuit à domicile, journée sur le lieu de travail) mais qu’il sera quelque peu fastidieux de traverser l’Europe ou les USA à son guidon, même si l’aventure peut être tentante (et probablement réalisable, avec beaucoup de temps… et de patience).

Les performances parfois en retrait

C’est sûrement un facteur déterminant, ou en tout cas important dans le domaine des voitures électriques car la différence en faveur de ces dernières peut être énorme, voire monstrueuse. Un seul exemple pour comprendre, celui de la Tesla Model 3 Performance (aujourd’hui provisoirement disparue du catalogue) qui abat le 0-100 km/h en 3,3 secondes. Pour aller chercher ce type de chrono avec une thermique, il faut taper dans les supercars, autrement dit chez Porsche, Ferrari ou McLaren. Et encore, sur les premières dizaines de mètres, elles seront derrière, vu la réactivité et l’arrivée du couple instantanée sur l’électrique, imbattable sur ce terrain. Autrement dit, même sans prendre des exemples aussi extrêmes, les amateurs de sensations fortes pourront se faire plaisir au volant d’une voiture électrique pour la moitié, voire le quart ou le cinquième du prix d’une thermique à performances équivalentes. En moto, la donne est clairement autre puisqu’il n’y a pas de différence notoire de performance entre une électrique et une thermique, et que s’il y a différence, elle peut même être en faveur de la thermique, que ce soit en accélération ou en vitesse de pointe. Or on sait à quel point une partie non négligeable des motards accordent de l’importance à ces critères. Là encore, la moto thermique gagne aux points devant l’électrique.

Pas d’obligation de passage à l’électrique en 2035

Autre critère différenciant avec le marché automobile, celui de la réglementation. Si les directives de l’Union Européenne imposent la fin de la vente de voitures thermiques neuves dès 2035, ce n’est pas le cas pour les motos. Or, cette contrainte est déterminante dans l’accélération de la conversion vers l’électrique, tant côté constructeurs que clients. S’adapter ou mourir, plus personne n’a vraiment le choix, et cette réglementation est un formidable booster de la transformation du secteur et de sa transition vers le tout électrique. Il n’existe rien de tel – pour le moment en tout cas – côté deux roues, ce qui explique que les grandes marques ne se soient pas encore vraiment mises en ordre de marche pour transformer leur offre.

Pas de flottes moto en entreprise

C’est un sujet peut-être subalterne, mais il a néanmoins son poids dans la balance. Sauf peut-être quelques cas particuliers assez rares, il n’existe pas de flottes de motos de société. Or, ce facteur compte pèse également dans la transformation des parcs automobiles puisque la loi LOM (Loi d’Orientation des Mobilités) impose un quota de passage à l’électrique et de verdissement des flottes aux entreprises au fur et à mesure du renouvellement de leur parc. Ainsi, de nombreux professionnels, et parmi eux des cadres, se retrouvent – parfois malgré eux – titulaires d’une électrique ou d’une hybride, imposée par la loi et leur direction, ce qui favorise la transition énergétique. Rien de tout cela en moto.

Tous ces éléments ne favorisent certainement pas la transition vers la moto électrique, qui n’a pas encore connu son vrai moment de bascule, même auprès des plus sincèrement convaincus. Il faudra pour cela de réelles évolutions technologiques, notamment en termes d’autonomie réelle et de temps de recharge, le tout accompagnée peut-être d’une véritable volonté politique, qui devrait selon nous passer davantage par des incitations, de la pédagogie et de l’accompagnement que par des mesures coercitives.

Ou alors on décide que moto et électrique ne feront jamais bon ménage, sauf dans quelques cas d’usage très ponctuels. Ce ne serait pas un scénario idéal, mais de notre point de vue il n’est pas à exclure.

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