AccueilVélo électriqueLe fatbike, dernier chapitre de notre idiocratie

Le fatbike, dernier chapitre de notre idiocratie

Les choses prennent parfois une tournure étrange. Il aura suffi de l’interview d’une députée dans un journal populaire pour que les vélos aux gros pneus deviennent les nouveaux boucs émissaires. Une indignation venue d’un pays pourtant expert en vélo, fromage, évasion fiscale, drogue et prostitution, qui découvre avec stupeur que les gens cherchent à aller toujours plus vite pour grappiller un temps que leur quotidien ne leur donne plus.

Et comme souvent, tout se termine par une conclusion aussi absurde que grotesque : interdire certains vélos électriques sous prétexte qu’ils pourraient causer des dégâts.

Des vélos qui ressemblent trop à des motos, avec leurs gros pneus et leur selle interminable. Le tout agrémenté de chiffres en pourcentage, parce que quand une donnée semble anecdotique, on lui donne du charisme à coups de statistiques.

La première victime de cette nouvelle vague d’idiocratie fut la trottinette électrique. Trop dangereuse, disait-on, car elle risquait d’occasionner des accidents. Les chiffres étaient faibles, mais sa visibilité, elle, était forte. Elle permettait surtout aux gens de se déplacer vite et pas cher dans des villes saturées. Il fallait la faire disparaître pour rogner un peu plus sur la liberté de ceux qui n’ont déjà plus grand-chose dans leur portefeuille.

C’est désormais au tour du vélo de passer à la rôtissoire. Mais taper sur le biclou n’est pas si simple. La trottinette n’intéressait que les non-locaux, les mineurs et les touristes, bref, tous ceux qui ne pouvaient pas voter pour en prendre sa défense, là où elle était utilisée. Le vélo, lui, est à la fois le Graal des écolos et le dernier refuge de ceux qui n’ont pas les moyens de se payer le passe-droit ZFE. Impossible de l’attaquer frontalement. Il faut y aller en douceur, jouer sur la peur, construire un récit alarmiste bien ficelé.

Le fatbike, un coupable idéal

Le coupable tout trouvé, c’est donc le fatbike. À l’origine, ce vélo de montagne était conçu pour affronter tous les terrains grâce à ses énormes roues et ses pneus surdimensionnés. Mais il a muté. Super73, fabricant américain, a poussé le vice encore plus loin que Miami, singeant la moto jusque dans le dessin. Jantes épaisses, géométrie qui se moque du confort de pédalage, porte-bagage faisant office de selle allongée, et cerise sur le guidon : une gâchette d’accélération.

Le style a cartonné auprès des utilisateurs, mais les fabricants de vélos traditionnels ont fait la fine bouche. Résultat ? Les constructeurs chinois ont flairé la bonne affaire et se sont jetés sur le marché. Et c’est là que le drama a commencé.

En Europe, la réglementation des vélos électriques est claire : pas de gâchette d’accélération, moteur limité à 250 W, assistance coupée à 25 km/h. Mais bien sûr, les modèles chinois n’ont pas mis longtemps à être débridés. Et il a suffi de quelques accidents aux Pays-Bas pour que les médias partent en croisade contre ces vélos « hors-la-loi », déclenchant une vague d’indignation chez les partis de centre, droite – et d’extrême droite – qui n’attendaient qu’un prétexte pour légiférer sur la question. Le gouvernement hollandais a suivi le mouvement, saisissant 3 000 vélos jugés « trop faciles à débrider ».

En France, comme souvent, on importe les problèmes des autres. Résultat : quelques députés s’emparent du sujet. Moins pour la sécurité des habitants que pour choper des voix à droite, le cyclo bobo étant une mascotte de gauche. D’ailleurs, seules les personnes de gauche font du vélo, c’est bien connu.

Mais tout ceci n’est que poudre de perlimpinpin, comme dirait le philosophe de comptoir du PMU du coin.

Super73 vélos électriques
Le californien Super73 a fait du vélo fatbike électrique sa marque de fabrique.

Les chiffres, ces vilains empêcheurs de légiférer en rond

Parce que les chiffres, eux, racontent une tout autre histoire. Aux Pays-Bas, sur les 737 décès annuels liés au vélo, rien ne prouve que les fatbikes débridés soient en cause. Une étude allemande, elle, a démontré que les véritables facteurs aggravants des accidents étaient l’âge avancé des cyclistes, l’alcool et la drogue. La drogue, les Pays-Bas… Non, rien.

En France ? Il y a eu 222 décès de cyclistes en 2022, dont 43 décès impliquant des vélos à assistance électrique, et aucune donnée permettant de savoir s’ils étaient débridés. Beaucoup de bruit pour rien, donc.

Mais surtout, réprimer plus lourdement les fatbikes, est-ce seulement possible ? Pas vraiment. Le problème n’est pas leur look de moto, mais le débridage. Or, débrider un véhicule – qu’il s’agisse d’un vélo, d’une trottinette, d’une moto ou même d’une voiture – fait perdre son homologation et donc son droit de circuler sur la voie publique. De fait, ce débridage n’est pas illégal en soi, mais rouler avec un engin débridé, si. Et c’est déjà puni, pénalement. Que pourrait-on faire de plus lourd que le pénal ? Pas grand-chose.

L’indignation sélective des cyclistes

Mais le plus croustillant dans cette histoire, c’est la réaction des cyclistes eux-mêmes. Certains osent affirmer qu’il vaut mieux un fatbike débridé qu’une voiture en ville. Parce que pour eux, la loi semble être à géométrie variable.

Enfin, pendant que les politiques fantasment sur le danger des vélos, chaque année, en France, l’alcool continue de tuer 41 000 personnes quand le tabac en assassine 78 000. Quant au sucre, il extermine 3,16 millions de personnes par an dans le monde. Mais ce sont les quelques vélos débridés qui sont moins responsables d’accidents à vélo que le non-respect du Code de la route qui sont le problème.

L’idiocratie dans toute sa splendeur ou l’art de chercher des solutions perfectibles à des non-problèmes.

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