Voici plus d’une décennie que je suis passé au vélotaf, parce que l’enfer, ce sont les autres. Parce que nous sommes tous l’autre de quelqu’un. Au milieu de ce lieu dont le feu est attisé par le stress, l’anxiété, la lassitude et la fatigue, le vélotaf est un petit coin de paradis et on n’y passe pas par hasard.
Sur ce réseau à la saveur si hypocrite qu’est LinkedIn, j’aurais évoqué un déclic disruptif m’ayant poussé à repenser ma morning routine et sortir de ma zone de confort. Mais dans le monde réel, je vais me contenter de dire que je n’aime pas les gens, au quotidien.
12 millions de voyageurs dans 10 000 trains circulent chaque jour en Île-de-France. Un train par minute en moyenne. Cela revient à poser 10000 sabliers sur une table et à regarder le sable s’écouler à l’intérieur. Mais dès qu’un grain vient bloquer le système, les autres grains, coincés sont reversés dans les autres sabliers, les faisant déborder.
Chaque jour, vous faites fi des contraintes. Fi de ce voyageur qui, pressé par le temps, n’a pu se laver. Et cela fait bien trois jours qu’il est pressé par le temps. Fi de cette personne qui a décidé d’entamer un régime de jeûne intermittent, mais ne s’est pas décidée à prendre RDV pour sa prise de sang, qui aurait permis de détecter son diabète et éviter qu’elle ne fasse un malaise au milieu de la rame. Fi de la personne qui a trouvé amusant de tirer sur la poignée d’urgence.
Fi de cet ado qui écoute trop fort une musique aux paroles bien faibles, fi de cette étudiante en art tentant maladroitement de caler son carton à dessin au format A2 et qui, sans le vouloir, assomme involontairement une vieille dame qui râlait, provoquant le sourire sur quelques visages. Fi de ce cadre en costume collé à vous, dont vous espérez que la protubérance que vous sentez soit son autre téléphone. Fi de ce gars qui a pensé qu’uriner sur les quais était une bonne idée, des travaux de maintenance qui ont lieu dans les moments critiques de votre vie professionnelle, de cette personne qui joue mal des morceaux de musique que vous ne supportez déjà pas dans les centres commerciaux, des groupes qui parlent fort, des passagers qui râlent trop, des odeurs qui prennent à la gorge, de ces écosystèmes qui se sont développés sur tous les éléments que vous touchez. Fi de cette page que vous lisez depuis dix minutes. Fi de cette alerte aux pickpockets qui peuvent sévir dans le train, fi de cette borne qui ne permet que de recharger son pass. Fi de cette odeur de joint qui parcourt le wagon et de cet ivrogne qui hurle des choses que personne ne comprend. Fi de ce passager qui joue à une guerre des territoires à coups de poussettes furtives. Fi de cette personne qui vous observe de manière insistante, la main cachée dans le pantalon.
Fi de cette personne qui met la main devant sa bouche quand elle tousse, mais qui l’oublie quand elle éternue, de cette personne qui vous mendie un euro, vous jetant un regard qui vous renvoie à une réalité brutale. Fi du train qui ne prend plus de voyageurs, de cette personne qui pousse tout le monde pour ne pas attendre le prochain train qui arrive dans deux minutes. Faire fi des publicités qui occupent la moindre parcelle d’un décor éclairé à coup de néons, des arrêts parfois brutaux quand vous n’avez plus de quoi vous tenir. Fi de l’humidité accumulée sur les vitres et de la chaleur humaine étouffante. Fi de ces retards inéluctables qui finiront par vous couter votre job. Fi du temps qui s’allonge chaque jour un peu plus.
Faire fi de ces deux heures quotidiennes, soit 20 jours pleins chaque année, l’équivalent de quatre semaines de vacances, que vous passez cloitré dans une boite de métal, collé à des inconnus. Et vous payez 1036 euros chaque année pour ça.
Il suffit alors d’une fois. Un quai bondé, une sortie du travail à 19 h 15 pour une arrivée chez vous à 22 h 30, en nage, après avoir été si serré contre les autres que vous en auriez inspiré Patrick Sébastien pour un nouveau titre. Il suffit d’un vieux Btwin qui traine depuis des années d’un coin, ne demandant qu’à rouler. D’un trajet sur Google Maps qui indique 24 km faisables en une heure, soit moins que le temps de trajet enfermé dans un wagon. Il suffit de cette combinaison d’ingrédients pour que, du jour au lendemain, vous entamiez le vélotaf.
Depuis, votre vie, tant professionnelle que personnelle, n’est plus la même. Qu’importe le climat ou l’horaire.
Le mois suivant, le Btwin montrera sa limite. Il sera alors remplacé par un modèle plus léger, plus performant, plus sexy. Un vélo dont les 1036 euros seront amortis, en un an.
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