Les nouveaux engins légers de livraison urbaine sont de plus en plus nombreux dans nos villes. Peuvent-ils à terme remplacer définitivement tous les autres modes de livraison ?
La montée en puissance du commerce électronique et des achats en ligne permet depuis de nombreuses années d’éprouver le fameux sac de nœuds réputé si complexe de la livraison du dernier kilomètre – la portion de livraison qui amène l’article du dépôt à votre porte – dans les zones urbaines. Mais des tendances émergentes changent le paysage de la livraison future.
Parmi elles, les vélos à assistance électrique ne sont pas seulement des moyens respectueux de l’environnement pour se déplacer. Ces véhicules motorisés légers ouvrent également de nouvelles possibilités en matière de transport de marchandises en milieu urbain, permettant aux cyclistes de transporter plus de poids plus facilement qu’avec un vélo traditionnel. Il faut en effet savoir que les vélos-cargos peuvent transporter jusqu’à trois fois leur poids, avec une capacité de transport allant de 40 à 250 kilogrammes. Des chiffres assez impressionnants pour un profane.
Les grandes entreprises de livraison et de logistique en sont conscientes. Alors que les consommateurs représentent encore la majorité des acheteurs de VAE-cargos, selon la société d’études de marché EMR, plus d’un quart de l’offre est utilisé par des entités commerciales. DHL, FedEx, Amazon et UPS ont tous annoncé ces cinq dernières années des essais ou des programmes pilotes pour utiliser des VAE Cargo dans le cadre des livraisons du dernier kilomètre, à savoir l’étape finale du trajet de livraison lorsque le colis passe de l’entrepôt (généralement par camion ou fourgon) au consommateur.
En fait, les cas d’usage de vélos à assistance électrique dans les domaines logistiques – et même touristiques, nous y viendrons plus loin dans cet article – sont déjà extrêmement variés et diversifiés, et constituent une réalité pour de nombreuses entreprises et structures spécialisées.
À première vue, l’utilisation des vélos-cargos pour la livraison de colis semble être une excellente idée. Ils sont plus petits et plus maniables que les camions de livraison standards. Ils occupent moins d’espace dans les rues déjà limitées et souvent encombrées d’une ville. De plus, tandis qu’un camion de livraison diesel émet en moyenne près de 19 tonnes d’émissions de dioxyde de carbone par an, un VAE ne produit aucune émission directe de gaz à effet de serre par lui-même, ce qui est essentiel pour les entreprises cherchant à réduire leur empreinte environnementale et à atteindre les objectifs de réduction des émissions.
Mais le tableau n’est pour autant pas aussi idyllique, en tout cas comme on pourrait le croire de prime abord. Parmi les inconvénients, le plus important reste la capacité d’emport, car les vélos sont beaucoup plus petits que la plupart des fourgonnettes et utilitaire légers. Il sera par exemple assez difficile de se faire livrer un canapé monté ou un congélateur avec un vélo. Ces derniers ont également une vitesse maximale plus lente, même si cette notion – valable en zone péri-urbaine et sur les voies-express et rocades – est largement discutable en zone urbaine centrale à forte densité. La question qui se pose est donc la suivante : le vélo-cargo peut-il vraiment remplacer le fourgon ou le camion de livraison ? Et si oui, dans quelle mesure ? Et où ? Avec quelle efficacité ?
Pour débroussailler le sujet, rien de tel qu’une étude, comme par exemple celle réalisée par les chercheurs du Urban Freight Lab de l’Université de Washington, qui ont collaboré avec UPS pour comparer les performances d’un seul vélo-cargo à assistance électrique avec un camion de livraison standard sur une période d’un mois à Seattle et ont publié leurs résultats dans un rapport en 2020. Ou cela date déjà un peu, mais les études aussi documentées dans le domaine sont rares, et dans les grandes masses, les résultats et conclusions restent parfaitement pertinents en 2023.
Le vélo-cargo utilisé par UPS était un tricycle capable de transporter jusqu’à 200 kilos dans son conteneur de 2,70 mètres-cubes. La vitesse de celui-ci était limitée à 32 km/h selon la réglementation locale. Les données relatives à un camion UPS n’ont pas été fournies, mais le Commercial Carrier Journal, une publication commerciale, indique qu’un camion peut transporter jusqu’à 6,5 tonnes.
Alors que le vélo-cargo de l’étude visitait cinq lieux de livraison par heure, le camion de livraison pouvait en visiter 20 par heure, ce qui signifie que le camion l’emporterait assez nettement en termes d’efficacité de livraison pure et simple. Cependant, ce chiffre seul ne raconte pas toute l’histoire, selon Giacomo Dalla Chiara, co-auteur de l’étude et responsable de recherche au Urban Freight Lab.
« Oui, vous pouvez transporter beaucoup plus avec un camion, mais il passe environ 80% de son temps à stationner sur ses trajets », mais le chauffeur doit sortir et marcher, et une fois que vous faites ça, c’est un mode de transport beaucoup moins efficace, ce que le nombre total de colis livrés ne montre pas. » Pendant ce temps, les vélos-cargos peuvent généralement être utilisés beaucoup plus près de la destination de livraison du colis, ce qui réduit la marche à pied. Le vélo peut parcourir une plus grande distance de chaque trajet de livraison qu’un fourgon ou un camion typique.
Autre étude, en utilisant les données GPS de la société de livraison basée à Londres Pedal Me, des chercheurs ont découvert que les vélos-cargos livrent leurs colis 60 % plus rapidement que les camionnettes, avec une fraction des émissions de carbone.
Autre facteur à prendre en compte pour les entreprises de livraison et de logistique, celui des économies de coûts. Les vélos-cargos nécessitent moins de composants et d’entretien que les fourgons et les camions, même ceux électrifiés, et nécessitent moins d’énergie pour se déplacer. Ils sont également moins susceptibles d’encourir de grosses amendes pour stationnement interdit (bien qu’ils puissent encourir de plus petites amendes pour stationnement sur les trottoirs). Selon une étude de 2015, les entreprises pourraient économiser 45% sur les coûts d’une livraison moyenne en passant d’un véhicule de livraison de taille normale à un vélo-cargo dans les zones urbaines. Et ce d’autant plus que les villes européennes ont également tendance à avoir une empreinte beaucoup plus dense que les villes américaines, ce qui les rend beaucoup plus adaptées à la circulation à vélo dès le départ.
Enfin, l’argument environnemental devient crucial à l’heure du mouvement vers la décarbonation des transports et de la volonté d’aller vers plus de sobriété énergétique. Là encore, une étude permet d’obtenir des comparaisons intéressantes en termes de pollution. Fin 2019, New York a lancé le Commercial Cargo Bicycle Pilot pour tester les livraisons en vélo-cargo avec la participation de UPS, DHL et Amazon. En l’espace de deux ans, le nombre de vélos est passé de 100 à plus de 350. Le Département des transports de la ville de New York a conclu que l’utilisation des vélos-cargos permettait d’économiser 7 tonnes d’émissions de CO2 par an et par vélo, soit un total de 2 450 tonnes d’émissions de CO2, ce qui équivaut à 532 voitures particulières conduisant pendant un an.
En examinant différents programmes similaires dans le monde, le rapport de Transport for Quality of Life a constaté que, selon l’endroit où ils étaient déployés, les VAE-cargos pouvaient réduire les émissions de CO2 de 35 à 95% par rapport aux fourgons de livraison, et les émissions de dioxyde d’azote (NOx) de 65 à 100%.
La différence est évidemment sans appel. Et ne tient en plus pas compte d’une autre pollution dont malheureusement on parle beaucoup moins, la pollution sonore, plus sournoise et pourtant aussi toxique que la pollution atmosphérique, même si ses effets sont moins immédiats et moins spectaculaires.
Alors, les vélos-cargos et autres engins légers de livraisons seront-ils capables de remplacer tous les véhicules de livraison ?
Cependant, même si l’utilisation des vélos-cargos peut réduire considérablement les émissions de CO2 et améliorer la qualité de l’air dans les zones urbaines, cela ne signifie pas nécessairement que les vélos pourraient remplacer tous les camions de livraison partout. Les distances plus longues, les conditions météorologiques défavorables, les volumes de cargaison plus importants et les routes non adaptées peuvent rendre difficile ou inefficace l’utilisation des vélos-cargos dans certains cas.
Et bien en fait, plus vraiment. Si ces engins se multiplient et semblent promis à un bel avenir, comme en témoignent les expériences de cyclo-logistique menées notamment à Lyon par le collectif TOUTENVELO, d’autres usages sont possibles, qui permettraient eux aussi de décarboner et d’apaiser les centre-villes. Ainsi voit-on émerger (ou ré-émerger) des services de livraisons de repas en VAE (même pas besoin d’un encombrant vélo-cargo), voire même en trottinette électrique, remplaçant avantageusement les insupportables scooters thermiques qui sont devenus le cancer des centre-villes, souvent aussi, il faut bien le dire, en raison du mauvais comportement et de l’incivisme d’une partie de leurs pilotes.
En fait, la livraison du dernier kilomètre pourrait encore davantage gagner en granularité avec une segmentation plus fine en fonction du poids et de l’encombrement des colis livrés. Pour nombre d’entre eux, un simple vélo à assistance électrique pourrait suffire. On peut par exemple facilement transporter une cinquantaine de téléphones mobiles et gadgets de taille équivalente dans les sacoches (sécurisées) d’un VAE.
Plus anecdotique, mais aussi en développement, le transport de personnes en tricycle, voire en tuk-tuk électrique, que l’on voit fleurir dans certains centre-villes. Reste à savoir si ces derniers remplacent les bus panoramiques et les taxis et VTC, ou s’ils viennent s’ajouter aux autres moyens de transports « individuels », auquel cas l’effet vertueux serait discutable.
Les vélos-cargos peuvent donc jouer un rôle important dans la logistique urbaine et la livraison du dernier kilomètre, en complément des camions de livraison. Ils peuvent être particulièrement adaptés aux environnements urbains denses où la taille des colis et les distances de livraison sont limitées. En réduisant les émissions de gaz à effet de serre et en offrant une alternative plus efficace à certains trajets de livraison, les vélos-cargos contribuent à une mobilité plus durable et respectueuse de l’environnement.
Mais il reste beaucoup de progrès à faire, autant dans les mentalités que dans l’aménagement urbain. Il existe encore des lacunes dans la plupart des villes en ce qui concerne les itinéraires de livraison adaptés aux vélos. Les données d’infrastructure nécessaires, des largeurs des pistes cyclables aux hauteurs des trottoirs en passant par les informations en direct sur les obstacles tels que les événements en plein air, les travaux routiers ou les manifestations, ne sont généralement pas disponibles du tout ou pas librement accessibles.
C’est ainsi que devra s’exprimer la volonté politique, qui conduira à profondément transformer les villes pour les rendre de plus en plus « vélo-cargo compatibles ». Il y a sûrement des opportunités intéressantes pour des sociétés spécialisées dans la création et l’édition de logiciels et applications spécialisés visant à fluidifier l’usage et la logistique des nouvelles mobilités urbaines destinées aux professionnels.
Sources :
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