Voici dix ans que je me rends tous les jours sur mon lieu de travail à vélo. Mais depuis trois ans, j’endosse d’autres costumes que celui que je porte en réunion. Je poste des vidéos d’erreurs d’automobilistes sur internet. Au départ, c’était pour éduquer, puis pour dénoncer. Maintenant, mon obsession c’est de buzzer. Et comme souvent sur internet, l’idée de départ n’a plus rien à voir avec la situation finale.
Tout a démarré avec une pub pour la GoPro. En voyant les images spectaculaires, je pensais qu’acheter une petite caméra rendrait mon quotidien extraordinaire. Puis j’ai réalisé que j’étais quelqu’un de normal à la vie banale. La GoPro est devenue une dashcam. Initialement, pour capter la folie de la nature, elle me sert à immortaliser les fous de la route. Ça aurait pu s’arrêter là, mais c’est parti très loin, trop loin. Ce qui devait servir à aider, informer, expliquer s’est transformé en buzz-machine et, je vous l’avoue, en cash-machine grâce à la pastille bleue de Twitter. Enfin cash, disons que ça paie l’essence de la voiture.
Mais pour que ça tourne vraiment, il fallait franchir le point de rupture, celui du bon sens. Car stigmatiser ne suffit plus, il faut provoquer, créer la polémique, diviser. Tout le monde pestera contre le conducteur trop pressé qui bombarde en ville en frôlant une cycliste avec ses deux enfants à l’arrière. Mais les avis divergeront si cette même mère de famille, désormais dans sa voiture tourne, clignotant enclenché, alors qu’un cycliste se trouve dans son angle mort. Les internautes défendront tantôt le cycliste qui est vulnérable, tantôt la mère de famille qui ne pouvait le voir vu qu’il n’était pas encore là au moment où elle amorçait son virage. Mais personne ne pensera que la voie n’avait pas être positionnée de la sorte. Le problème superficiel fait crier, le problème de fond fait réfléchir et réfléchir nécessite une énergie que l’on préfère gaspiller en criant.
Le clivage dure depuis un moment et d’autres m’ont emboîté le pas. Désormais, l’éducation a cédé sa place à la stigmatisation. La route ne se partage plus, elle se conquiert à coup de propagande, coup de pare-chocs, coup dans la gueule. Qu’importe le risque, qu’importe le flux, être magnanime, c’est renoncer à percer. Être tolérant, c’est courber l’échine. La route est devenue l’enjeu d’une guerre de territoire.
Désormais, le cycliste ne part plus au travail, il part au combat. Il est juge, bourreau et victime. Ses procès feraient passer la série Ally Mc Beal pour un documentaire de la BBC.
Ce n’est plus du cyclisme, mais de la politique. Car avec l’indignation s’ajoute un cocktail de manichéisme, d’hypocrisie et de pseudo-justice. Le cycliste militant est le Robin Des Bois du sophisme politique, le Homer Simpsons de la revendication écologique et le Bernard Madoff de la justice routière. La voiture est une arme, l’automobiliste est l’ennemi.
J’ai dû choisir mon camp, mais je dois vous avouer qu’avec un peu de recul, je me rends compte que j’ai fait plus de mal que de bien. Après tout, personne n’a jamais éteint un incendie avec de l’huile.
Ce matin a donc été mon dernier trajet avec ma GoPro allumée. Et ce soir, je ne le sais pas encore, sera mon dernier trajet, tout court.
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Vélo électrique15 novembre 2024
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