Malgré des signes encourageants, le marché de la moto électrique peine encore à décoller. Quelles en sont les raisons ?
Alors que les ventes de voitures électriques neuves semblent poursuivre leur progression de façon inéluctable avec 12% des immatriculations en avril 2022, que l’écrasante majorité des publicités portent sur des modèles électriques (la seule exception concernant les hybrides) et que les réseaux de recharge se multiplient à un rythme soutenu et enfin adapté, la moto électrique semble faire du surplace.
Non pas que les ventes de motos électriques ne progressent pas, mais elles restent anecdotiques en regard de celles des voitures ou même des scooters électriques et de petites cylindrées, ces derniers étant en plein boom puisque dans l’Hexagone, les ventes de 50 électriques ont bondi de 90 % et celles de 125 de 35 % en 2021. Au total, les ventes de deux roues électriques ont progressé de 25,7 % en 2021, ce qui confirme l’intérêt grandissant des utilisateurs.
Mais pour les motos électriques de plus grosse cylindrée, c’est donc encore un peu la soupe à la grimace. Entre janvier et septembre 2021 (seuls chiffres dont nous disposons actuellement), il s’est vendu seulement 16.521 motos électriques en France, Allemagne, Italie, Espagne et au Royaume-Uni, sur un marché de près de 800.000 motos. Ce qui représente une part de marché des nouvelles immatriculations de 2,06. Même si ce chiffre a probablement un peu évolué depuis, on est loin des 12% de la voiture électrique ou des 5 à 10% (estimation) des scooters électriques.
Alors bien sûr, quelques marques tirent leur épingle du jeu, mais elles restent encore rares. Soulignons quand même les belles progressions des ventes en 2021 pour Zero Motorcycles, qui confirme sa place de leader avec une progression de 166,67%, et SuperSocco qui voit les ventes de ses petites cylindrées croître de 130,61%.
Au-delà des chiffres, il y a des raisons qui expliquent les ratés au démarrage du marché de la moto électrique. Des raisons objectives, mais aussi des motifs plus subjectifs.
C’est probablement la première raison qui vient à l’esprit quand on parle de moto électrique. Ainsi, une Zero SR/S, modèle sportif de la gamme, correspondant à une 750 thermique, est affichée en version « grande autonomie » et « charge rapide » à près de 27 000 euros. Par comparaison, une Kawasaki Z750 thermique aux prestations équivalentes coûte 7 500 euros. Si la différence de prix entre voiture électrique et thermique est souvent pointée du doigt alors qu’elle diminue jusqu’à devenir dans certains cas très minime, elle est encore abyssale dans le domaine de la moto. Clairement, la moto électrique n’est pas pour toutes les bourses, et reste un produit de luxe, même en retirant les 900 euros de bonus écologique à l’achat (l’aide est plafonnée à 900 euros). Rassurez-vous, la Zero n’est pas un cas unique puisque la Harley-Davidson LiveWire est vendue 34 000 euros.
Pour reprendre l’exemple de la Zero SR/S, quand on parle de grande autonomie, on parle de 365 km en ville, de 182 km sur autoroute à 113 km/h, et de 243 km en combiné. Je vous laisse imaginer à une vitesse soutenue de 135 km/h… Concernant le temps de charge, on est là aussi assez loin des scores atteints par les voitures électriques récentes puisqu’il faudra de 2,7 heures à 4,5 heures pour recharger l’engin à 95% selon la version. Notez quand même qu’avec l’option charge rapide 6 kW + Une Charge Plus Rapide Cypher Upgrade, la version Premium de la moto demandera « seulement » 1h30 heure pour une charge complète et 1 heure tout rond pour récupérer 95 % de la capacité de la batterie.
Mais l’autonomie est-elle un problème ? Pas vraiment en fait. Car, contrairement à la voiture, le différentiel entre autonomie d’une thermique et celle d’une électrique n’est pas énorme. Si l’on prend l’exemple de la voiture, entre une électrique « moyenne » qui atteindra difficilement 300 km d’autonomie sur autoroute et une thermique diesel qui pourra parcourir sans problème entre 600 et 900 km, soit le double ou le triple, le fossé est abyssal. Dans le monde de la moto, il n’est pas rare que le rayon d’action d’une moto thermique ne dépasse pas 200 à 300 km. La question est donc davantage celle de la disponibilité des bornes et surtout des temps de recharge. Hormis le prix, c’est probablement l’une des raisons essentielles qui rebutent les motards qui seraient tentés par l’expérience électrique. Et pas forcément l’autonomie.
Les motards aiment la moto parce que c’est une… moto. Avec toutes les sensations et le plaisir de pilotage que celle-ci procure. Autant, en matière d’automobile, une grande partie des utilisateurs n’éprouvent ni passion ni plaisir, et considèrent leur auto comme un simple moyen de transport et sous un angle pratique, autant l’écrasante majorité des motards pratiquent cette discipline par choix et passion. Dans cette passion, le plaisir de maitriser la puissance, d’entendre le moteur rugir (et chauffer) entre ses jambes, et de monter et descendre les rapports constituent un mix que l’électrique est encore loin de fournir. Ou ne fournira peut-être même plus jamais. C’est l’une des raisons évoquées quand on pose la question aux motards, puisque 90 % d’entre eux n’ont pas l’intention de passer à l’électrique, et ce malgré les interdictions prévues pour 2035 pour les véhicules thermiques. Enfin, cela dépend des études…
Concernant le look, encore une fois, si l’on fait une comparaison avec l’automobile, les éléments mécaniques d’une moto, beaucoup plus visibles, sont constitutifs du design général, et pèsent davantage dans la balance. Une belle ligne d’échappement, un réservoir profilé, les cylindres apparents participent à la ligne générale, et l’on peut comprendre qu’un motard ne soit pas insensible à cette vision de la moto. Cela étant, même si les goûts sont une affaire subjective, reconnaissons que la plupart des motos électriques disponibles sur le marché actuel ont une ligne assez réussie, et qu’un non initié peinera à deviner qu’il s’agit d’engins électriques.
À lire aussiMoto électrique : pourquoi ça ne démarre pasUn autre chapitre qui aujourd’hui est sujet à débat, celui des performances des motos électriques. On ne va pas se mentir, la performance est dans l’ADN de la moto. Si aujourd’hui la différence de performance entre une voiture électrique et thermique peut largement jouer en faveur de la première (une voiture électrique de 50 000 euros est capable d’accélérations et de reprises identiques à celles d’une Porsche de 150 000 euros), il n’en est pas de même pour la moto. La différence est en effet insignifiante entre une 750 thermique et une électrique équivalente. Si l’on reprend l’exemple comparatif entre une Zero SR/S et une Kawasaki Z750, elle se situe à 5 dixièmes sur un 0 à 100 km/h (3,3 secondes pour la première, 3,8 pour la deuxième), soit rien. C’est donc un critère qui ne sera pas à même de convaincre un motard thermique de devenir électrique. Or le motard aime mettre la poignée dans le coin. Pas tous les motards, mais une part certainement significative.
Ce sujet est posé avec un point d’interrogation, car il peut faire débat. Nombre de motards considèrent que le bruit émis par leur engin est un gage de sécurité vis-à-vis des autres usagers de la route, et notamment des automobilistes, car il permet de les entendre et donc de les repérer de loin. Avec une moto électrique, même équipé de l’AVAS (obligatoire depuis 2021, mais qui vise surtout les piétons), on ne pourra plus compter sur l’ouïe des automobilistes pour se rappeler à leur bon souvenir.
Tout n’est pas perdu pour le marché de la moto électrique, mais les freins à l’adoption de ce nouveau mode de propulsion sont plus importants que pour la voiture ou le scooter, car les contraintes techniques sont encore importantes. Même si la législation devrait probablement accélérer le mouvement, avec à l’horizon 2035 une interdiction pure et simple de la vente de véhicules thermiques en Europe, c’est surtout du côté des constructeurs qu’il faudra regarder. Ceux-ci devront faire preuve de créativité et être à l’écoute des innovations qui déferlent dans le secteur pour être en mesure de proposer assez vite des motos à des prix raisonnables, avec une autonomie acceptable et surtout une puissance de recharge qui permette de récupérer de quoi parcourir au moins 200 kilomètres en à peine plus de temps qu’il n’en faut pour faire un plein d’essence. Et peut-être devront-ils se pencher aussi sur les façons de reproduire avec l’électrique – et probablement de façon un peu artificielle – tous ces petits plaisirs visuels et auditifs qui titillent les sens des motards et font vibrer leur passion.
Ce jour arrivera probablement assez rapidement, mais pas avant quelques années. Les motards pourront alors découvrir les autres avantages de l’électrique, et les sensations différentes qu’il procure.
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