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Pourquoi le vélo est-il devenu un sujet aussi clivant ?

Un groupe de cyclistes, automobilistes et piétons qui se disputent dans la rue

Le vélo cristallise un peu toutes passions de l’époque, jusqu’à devenir l’un des sujets de polémique favori des réseaux sociaux.

Vous cherchez un sujet d’engueulade pour votre prochain repas de famille ? Il se pourrait que j’aie quelque chose pour vous. Politique ? Écologie ? Prix de l’énergie ? Poutine ? Mélenchon ? Un peu un concentré de tout ça. En mieux.

Je veux parler du vélo. Et plus particulièrement du vélo en ville, du vélotaff et des cyclistes eux-même. Pour le meilleur ou pour le pire.

Je pratique le vélotaff au quotidien – enfin quand je ne télétravaille pas – depuis maintenant plus de 7 ans. Comme j’habite une ville avec de très forts dénivelés, et que j’en avais marre d’arriver à destination essoufflé, transpirant et avec un pouls à 280, j’ai opté pour un vélo électrique. QUE. DU. BONHEUR.

Ce n’est pas pour parler de mon cas particulier, mais pour vous faire part d’un constat. En 7 ans j’ai vu les choses évoluer de façon totalement spectaculaire. Quand j’ai commencé fin 2016, j’étais absolument seul au monde sur mon trajet urbain de 4 kilomètres. Un trajet déjà constitué à 90% de voies cyclables, dont une grande partie séparée de la chaussée puisque installée sur les berges du Rhône. Cette voie ayant cependant la particularité de ne pas être une voie réservée aux vélos, mais une voie sur berge « mixte » pour toutes les mobilités douces, y compris la marche à pied. Cela a son importance car cette mixité est aussi source de conflits.

Le nombre croissant de cyclistes en ville attise les tensions

Puis les gens se sont équipés de façon exponentielle au cours des dernières années, d’autres voies cyclables ont été créées, exclusives aux vélos et EDPM cette fois, et mon itinéraire est littéralement devenu une autoroute à vélo, à tel point qu’aux heures de pointe cela ressemble désormais davantage au périphérique parisien aux heures de pointe qu’à un sentier de campagne. Avec même les embouteillages et les comportements parfois limite de certains usagers, que ce soit en termes de civisme ou en termes de sécurité.

Bref, navetter à vélo reste toujours un moment agréable, mais l’environnement n’est plus le même, et cette petite sensation de faire partie de quelques rares pionniers sur une piste déserte a définitivement disparu.

Tant mieux me direz-vous. Oui bien sûr, tant mieux, puisque plus il y a de vélos, normalement moins il y a de voitures. Une impression confirmée par les derniers chiffres publiés par la ville de Lyon, qui indiquent qu’entre 2019 et 2023, le nombre de voitures en hyper centre a baissé de -17,5%. Des chiffres à prendre certes avec une certaine prudence (le Covid est passé par là), mais qui montre sans surprise une tendance, quand on sait combien il est devenu très compliqué de circuler et de stationner en centre-ville en voiture.

Tant mieux, donc. Mais pour autant, le tableau n’est pas aussi idyllique qu’il n’y parait. Car avec la montée en force du vélo sont apparus de nouveaux comportements, et de nouvelles formes de tension.

Car force est de constater que le vélo, longtemps considéré comme un moyen de transport alternatif et écologique, est devenu ces dernières années un sujet de plus en plus clivant.

D’un côté, on trouve les cyclistes, qui se plaignent constamment du comportement des autres usagers de la chaussée. Ils dénoncent les automobilistes qui les frôlent, les piétons qui traversent sans regarder, et les incivilités en tout genre. Ils réclament plus de sécurité et d’infrastructures dédiées, et n’hésitent pas à pointer du doigt l’incivisme des autres usagers de la route.

De l’autre côté, on trouve les automobilistes et les piétons, qui critiquent les cyclistes en leur reprochant de ne pas respecter le code de la route, de griller les feux rouges (ignorant au passage pour la plupart l’existence et la signification du panneau M12 qui autorise à le faire), de rouler sur les trottoirs, et de mettre en danger la vie des autres. Ils accusent les cyclistes d’être individualistes et de ne pas se soucier des autres usagers de l’espace public.

Comment en est-on arrivé à une telle situation ?

Alors que le vélo était le sujet le plus anodin il y a encore quelques décennies, et que les seuls sujets de discussions animées consistait à savoir qui allait gagner le Tout de France, il polarise aujourd’hui toutes les attentions. Et toutes les détestations. En fait, c’est devenu un sujet idéologique. Comment en est-on arrivé là ? Plusieurs facteurs contribuent à ce phénomène de radicalisation des positions.

L’augmentation du nombre de cyclistes

Le nombre de cyclistes a explosé ces dernières années dans les villes françaises. Cette croissance est due à plusieurs facteurs : la prise de conscience des enjeux environnementaux, le développement des infrastructures cyclables, et l’augmentation du prix des carburants.

La cohabitation difficile entre les différents usagers de la route

La cohabitation entre les cyclistes, les automobilistes et les piétons n’est pas toujours facile. Chacun a ses propres besoins et ses propres contraintes, et il n’est pas toujours aisé de partager la route de manière pacifique.

La caisse de résonance des réseaux sociaux

Les réseaux sociaux ont amplifié le phénomène de clivage. Les cyclistes comme les automobilistes et les piétons utilisent ces plateformes pour exprimer leur colère et leur frustration, et pour camper sur des positions radicales.

Le manque de dialogue et de compréhension mutuelle

Il y a un manque de dialogue et de compréhension mutuelle entre les différentes parties prenantes. Les cyclistes se sentent souvent stigmatisés et marginalisés, tandis que les automobilistes et les piétons ont l’impression que les cyclistes ne respectent pas les règles.

Ajoutez à cela l’inévitable surcouche politique chère à notre vieux pays, avec ses clichés habituels : en gros, pour le bagnolard, le vélotaffeur est forcément un bobo gauchiste, alors que pour ce dernier, le bagnolard est forcément un boomer réac. Vous avez ainsi le cocktail parfait pour une bonne petite polémique auto-alimentée dont nous avons le secret. La définition de l’idéologie.

Il faut dire que certains cyclistes se donnent du mal pour se faire détester. Il suffit de voir certains comptes Twitter – qualifiés de « cyclopathes » par leurs opposants – publier à longueur de journée des vidéos sur des faits la plupart du temps insignifiants et sans danger, visant à stigmatiser les comportements de certains automobilistes, le tout accompagné souvent de messages rageurs ou pleurnichards. Des profils qu’il est souvent difficile de contredire sans se faire très rapidement insulter par une meute de supporters en cuissard. Des vidéos comme celles-ci, je pourrais en faire 3 par jour, et pas seulement à charge des automobilistes, car les piétons et certains autres cyclistes sont aussi largement fautifs dans les comportements à risque, y compris sur voies dédiées (et peut-être encore davantage sur celles-ci). Mais je ne les fais pas car d’une part j’ai autre chose à faire, mais surtout parce que cela n’a pas beaucoup d’intérêt, et que cela ne fait pas vraiment avancer le débat.

De l’autre côté, certains automobilistes sont viscéralement rétifs à tout ce qui peut représenter une certaine forme de liberté de déplacement, a fortiori quand cette forme de déplacement va plus vite que la leur dans un trajet urbain d’un point A à un point B. Ce qui, dommage pour eux, est de plus en plus courant. Cette allergie peut rapidement se transformer en agressivité, avec des comportements inconsidérés, aussi stupides que dangereux.

Les piétons aussi…

Mais il n’y a pas que les automobilistes. Même en étant respectueux du code de la route et des autres usagers, je crois que chaque pratiquant régulier de la bicyclette, en ville et à la campagne, a déjà été confronté aux attitudes parfois agressives de certains piétons à leur encontre. Sans parler des autres, comme ceux qui traversent sous vos roues avec un casque audio vissé sur les oreilles, sans regarder, évidemment. A la loterie de la survie en milieu urbain, ils sont rarement gagnants face aux voitures, mais dans une confrontation avec un cycliste arrivant à 25 km/h, la victime ne sera pas forcément celui qu’on croit. A pied, on peut en effet facilement faire valdinguer un vélo sans que le contact soit forcément très violent pour le piéton. D’ailleurs, le cycliste peut chuter seul, simplement en tentant d’éviter ce dernier. Ce que confirme une statistique qui dit que 70% des accidents à vélo se produisent sans contact avec un obstacle, souvent dans une manœuvre d’évitement accompagnée d’un freinage mal dosé, d’un dérapage ou d’une perte d’équilibre. Dans ces cas, l’attitude des piétons ne compterait que pour 3% dans les chiffres, mais mon expérience quotidienne me dit que qu’en 2024 c’est peut-être un peu plus que cela…

Puis, entre les deux, il y a toute la masse de ceux qui tout simplement conduisent – ou se conduisent – mal, non pas par malveillance mais tout simplement par ignorance des règles de vivre ensemble sur la chaussée. Ou, si vous voulez, de façon plus pragmatique, des règles du code de la route. Qui, je le répète souvent, sont avant tout des règles de bon sens pour la survie en milieu routier. Et là, il faut bien avouer que les champions sont surtout les cyclistes et les piétons.

Que faire pour apaiser les tensions ?

C’est avant tout une question de civisme et de respect mutuel, mais bien sûr cela ne suffira pas, dans une société ou les tensions s’exacerbent très vite. Il faudrait encore améliorer les infrastructures, mais surtout sensibiliser et éduquer les usagers, quel que soit leur mode de transport, mais aussi encourager le dialogue plutôt que cliver, et au final cultiver un truc assez basique : le respect.

Le vélo est devenu un sujet clivant en raison d’une conjonction de facteurs, allant des tensions exacerbées sur les réseaux sociaux aux stéréotypes simplificateurs en passant par la course à la légitimité sur la route. Pourtant, il est crucial de sortir de cette spirale de confrontation et d’engager un dialogue constructif. Les enjeux de mobilité urbaine, de sécurité routière et d’écologie nécessitent une approche plus inclusive et collaborative. Il est temps de mettre de côté les préjugés, d’admettre la diversité des usagers de la route, et de travailler à la construction d’une ville où la coexistence pacifique sur la route serait la règle plutôt que l’exception.

La mobilité urbaine de demain dépend de notre capacité à dépasser nos clivages et à partager une vision commune de la route partagée.

Enfin, en tout cas en attendant que les voitures soient définitivement et totalement bannies des centre-villes. Ce qui devrait régler une partie du problème.

Une partie…

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