La trottinette électrique, le vélo à assistance électrique, la draisienne électrique, la gyroroue ou encore le skate électrique, depuis qu’on peut glisser des moteurs électriques et des batteries capables de fournir une autonomie un minimum décente, ces véhicules font soudainement peur. Pourquoi ?
En cours de marketing est évoquée la courbe d’adoption. Un modèle popularisé par Everett Rogers en 1962 qui explique comment de nouvelles idées et technologies se propagent et sont adoptées au sein d’une société.
Il y a 5 phases dans cette courbe d’adoption :
Nous allons y revenir plus loin, gardez ça en tête.
Le fantasme du vélo électrique n’est pas nouveau. Il a été pendant une courte période un divertissement pour la bourgeoisie, une alternative au cheval.
Quant à la trottinette électrique, elle roulait déjà dans les rues new-yorkaises au début du 20ème siècle. Ça date !
Ces deux inventions étaient grisantes, mais leur autonomie et les technologies de stockage d’énergie électrique de l’époque en ont fait des engins qui n’avaient d’autres buts que d’amuser une poignée de riches néophytes.
Plus d’un siècle plus tard, un trio de chercheurs (Stanley Whittingham, John Goodenough et Akira Yoshino) crée la batterie au lithium-ion. Comble de l’ironie, Stanley Whittingham avait auparavant effectué des recherches pour Exxon Mobile et découvert les conséquences de l’emploi du pétrole et des gaz à effet de serre sur le climat. Des résultats identiques à ceux que Total avait également obtenus d’une autre équipe de chercheurs en interne. Ces deux études ont été cachées au grand public et un lobby avait même été mis en place pour décrédibiliser toute recherche parvenant à ces résultats.
Au début des années 2000, les batteries lithium-ion se démocratisent. Il a fallu attendre une petite décennie (un peu moins de 10 ans si vous préférez) pour que ce stockage d’énergie électrique se démocratise et atterrisse dans des vélos et des trottinettes.
Désormais, le kWh s’affiche autour des 150 euros. Ces 1000 Wh permettent à n’importe lequel de ces véhicules (Vae et EDPM) de se mouvoir à 25 km/h pendant une centaine de kilomètres. C’est à peine 16 km/h de moins que la vitesse moyenne pratiquée de jour par les automobiles.
Pourtant, l’adoption progresse en même temps que la crainte s’installe. Et pour cause, nous sommes en fin d’adoption précoce.
Cette idée m’est venue après plusieurs refus de mes proches ou d’amis d’essayer une trottinette électrique. Je me demandais pourquoi un engin de 20 kg, roulant lentement, et utilisé par des enfants pouvait effrayer des adultes qui utilisent des engins de 1,5 à 2 tonnes capables d’atteindre 180 km/h.
Nous craignons l’inconnu, ce que nous ne connaissons pas. Nous en sommes terrifiés et fascinés. Comme expliqué plus haut, les nouvelles mobilités se sont démocratisées. En France, le vélo à assistance électrique a représenté 30 % des ventes en 2023. Les trottinettes avec 678 000 unités écoulées l’an dernier.
Nous quittons la phase d’adoption précoce pour entrer en phase de majorité précoce. Autrement dit, les gens perçoivent cette existence. Ils se voient imposer un changement.
Les mobilités sont un sujet tendance et font vendre du papier virtuel. Une exposition médiatique qui surfe tantôt sur le Dráma, tantôt sur la politique.
De quoi stimuler le clivage entre les usagers et ceux qui sont de l’autre côté de l’adoption. Deux biais se mêlent alors. D’un côté, le biais de négativité. Ce biais qui fait que nous donnons plus de poids aux mauvaises nouvelles, aux critiques négatives et aux remarques. Une disproportion qui accentue la peur. Et cette peur, ça tombe bien, elle est prépondérante face à l’inconnu. Or, pour ces personnes, les mobilités sont justement inconnues. Ajoutez le biais de confirmation, autrement dit la tendance à chercher et favoriser les informations qui confirment les croyances plutôt que la réalité (c’est très utilisé en politique) et vous obtenez le meilleur cocktail de la PEUR.
La dissonance cognitive est également un vecteur servant à promouvoir la terreur. Dans une moindre mesure, je vous l’accorde. Disons qu’il est compliqué d’imaginer qu’un vélo puisse mettre moins de temps pour effectuer un trajet qu’une voiture, pourtant plus rapide.
Il y a enfin une sorte de contagion émotionnelle : les gens qui en ont peur se réunissent entre eux pour se conforter dans leur idée. C’est d’ailleurs exactement ce qu’il se passe dans l’autre sens : les cyclistes qui se regroupent contre les véhicules motorisés. Une mise en commun des mauvaises expériences, mais sans tenir compte de la proportion de déplacement.
C’est amusant de constater que la temporalité joue un rôle dans notre perception : revenez aux débuts des trottinettes électriques, avant la médiatisation des accidents, l’effervescence du libre-service. Il y a fort à parier qu’un pourcentage non négligeable des personnes réticentes aux nouvelles mobilités ne l’auraient pas été.
L’image de ces engins a également changé avec l’ajout du moteur. Dans les années 70 à 90, les trottinettes et les vélos étaient les véhicules pour gosses. Car à cette période, le marché de l’automobile était en pleine explosion. D’ailleurs, les adultes sur les premières trottinettes électriques étaient considérés comme des personnes ayant refusé de grandir. Des gamins dans des corps d’hommes et de femmes.
Par conséquent, la perception des autres usagers de la route était différente durant cette période. Mais les rapports entre adultes sont différents. Ils mènent à des conflits et des affrontements.
Ajoutez cela à la peur et aux évolutions du marché, vous obtiendrez un joli cocktail… de peur.
Oui, ceci ne durera pas. La peur va faire place à l’adoption de masse. Cette majorité tardive évoquée au début de ce texte. Adoption qui va engendrer une refonte des infrastructures et une acceptation générale. Ce qui était étrange hier deviendra la norme de demain. La peur s’estompera pour faire place à une normalité, une habitude.
Cette même habitude qui sera bousculée par une nouvelle évolution qui engendrera à son tour, une peur irrationnelle.
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