Les politiques d’aménagement urbain sont trop timides vis-à-vis du marquage des voies cyclables. C’est pourtant un enjeu majeur de sécurité et de vivre ensemble.
Si vous circulez régulièrement sur piste cyclable, que ce soit à vélo ou avec un autre EDPM autorisé, il ne vous aura certainement pas échappé que, selon la saison ou l’heure de fréquentation, le moindre déplacement peut vite devenir une sorte de gymkhana épique confinant au combat pour votre survie, ou en tout cas pour rester sur vos deux roues.
Pourquoi ? Parce que, d’une façon générale, il semblerait que dans notre pays, ou en tout cas au sein de certaines municipalités, on ait un peu de mal avec la notion de « route » dédiée aux cyclistes et autres engins de mobilités douces.
Alors bien sûr, toutes les villes s’y mettent, et c’est à celle qui annoncera le plus de kilomètres de voies cyclables – ce qui ressemble parfois davantage à du greenwashing à la va-comme-je-te-pousse qu’à une véritable politique durable mûrement réfléchie. Si en matière d’électromobilité urbaine, certaines pistes cyclables sont parfaitement tracées, marquées et identifiables, c’est très loin d’être le cas pour toutes. Entre les voies à contresens, celles qui sont coupées net par des obstacles provisoires ou permanents, celles dont le marquage au sol laisse à désirer ou a été tracé en dépit du bon sens, il y a de quoi en perdre les pédales en même temps que son latin.
Si une grande majorité des collectivités locales, des élus et des usagers semble aujourd’hui acquise à la cause du développement du vélo et de la réduction de l’utilisation de la voiture en ville, dans les faits il semblerait que la « culture vélo » ait encore des progrès à faire, surtout quand l’on regarde ce qui se fait à l’étranger, et notamment dans les pays les plus avancés en la matière, comme les Pays-Bas, le Danemark ou même l’Allemagne.
Comme si, chez nous, pays latin, on voulait favoriser le vélo sans oser l’assumer pleinement, sans en endosser le côté parfois contraignant pour les autres usagers, notamment les piétons. En gros, le message perçu ressemble un peu à « Chassons sans aucun complexe la voiture de la ville et vive le vélo, mais un coup de pinceau suffira, il ne faut surtout pas fâcher le piéton ».
Or, sur les pistes cyclables, même si ce n’est pas très politiquement correct de le dire, il faut admettre que ce sont souvent les piétons qui posent problème. Pratiquant le vélotaff majoritairement sur piste cyclable au quotidien depuis plus de 5 ans, la plupart des cas ou j’ai frôlé une collision, où j’ai été confronté à des incivilités et où j’ai vu des gens s’invectiver, l’ont été avec des piétons, ou entre cyclistes et piétons.
Ces derniers sont-ils entièrement responsables ? Bien sûr que non. D’une part certains cyclistes ou autres trottinettistes ne sont eux-mêmes pas toujours très respectueux des autres usagers. Mais pas seulement. C’est aussi une question de visibilité et de signalétique des pistes cyclables. Certaines sont pratiquement invisibles tant elles se fondent dans le paysage et peuvent être confondues avec une partie de chaussée ou de trottoir.
Question de culture (latine, française ?). On veut imposer des règles sans en assumer complètement le côté coercitif. Ou prioriser le vélo sans dégrader l’esthétique des centre-villes, et donc en évitant par exemple les marquages au sol trop voyants. La dernière fois que j’ai évité de justesse un piéton (une piétonne en l’occurrence) qui traversait la piste cyclable quasiment sous mes roues sans regarder, hors passage piéton, avec en prime un casque audio sur les oreilles, j’ai pris le temps de m’arrêter pour engager la conversation et lui indiquer – très courtoisement – qu’elle était sur une « route pour vélo », puis lui demander si elle traverserait une rue, une route nationale ou une autoroute de la même façon. A son regard quelque peu déconcerté, j’ai compris qu’elle ne savait tout simplement pas qu’il s’agissait d’une piste cyclable.
À lire aussiVélo : selon cette étude, les pistes cyclables pourraient aggraver la pollutionOn ne peut pas l’en blâmer, et c’est tout le problème. Nos villes ne savent pas dessiner des voies cyclables qui ressemblent à de vraies routes ou autoroutes pour vélos, clairement délimitées, avec le marquage au sol adéquat, visible et reconnaissable au premier regard sans aucune équivoque. Sans parler de la signalétique verticale, qui devrait indiquer clairement qu’une piste cyclable doit être traversée avec la même prudence qu’une voie automobile, et que se prendre de plein fouet un vélo arrivant à 25 km/h ou plus peut tuer le piéton ou le cycliste. Ou les deux.
Alors bien sûr, ce ne sera pas forcément très esthétique, mais à un moment il faut savoir arbitrer et assumer ses choix. Et on peut certainement faire beaucoup mieux que les coronapistes qui ont éclos dans certaines villes depuis le début de la crise du Covid, et qui réussissent la prouesse d’être à la fois moches et peu visibles, quand elles ne sont tout simplement pas impraticables.
Il faudrait peut-être regarder ce qui se fait ailleurs et s’en inspirer, comme à Copenhague, à Amsterdam ou à Berlin, voire même à Barcelone ou Los Angeles (cette dernière n’étant pourtant pas spécialement réputée pour être très vélo-friendly). Saluons au passage le projet pharaonique de la ville de Lyon avec Les Voies Lyonnaises, l’un des plus ambitieux d’Europe. Un projet inspiré de… Copenhague et Amsterdam.
Les voies cyclables doivent être sanctuarisées, pour la sécurité de tous, et pour une cité encore plus apaisée. C’est aussi une question d’éducation, ou d’acculturation. Nous y reviendrons.
Note aux lecteurs : cet édito inaugure une nouvelle rubrique bimensuelle « Roue Libre » qui apportera un peu de mise en perspective et de recul sur le monde de la micro-mobilité, des EDPM et du deux roues électrique.
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