Sécurité à vélo, pourquoi la france est à la traîne

Eric Dupin · 30 Juin 2024 17:30 · 1
Un vélotaffeur en ville

Les pistes cyclables en France seraient parmi les plus dangereuses d’Europe. Un état des lieux alarmant sur la sécurité des cyclistes, les infrastructures inadéquates et des solutions inspirées de modèles étrangers pour un futur plus sûr.

Comme nous l’avons déjà souvent pointé, il existe encore de nombreux freins à la pratique régulière du vélo dans notre pays, et plus particulièrement pour les trajets quotidiens en ville, comme par exemple pour se rendre à son travail. Les points de friction concernent principalement le confort, les capacités physiques, la crainte du vol, mais aussi la sécurité des personnes au cours de leur trajet. Nos confrères du média digital Explore Media ont récemment publié une vidéo expliquant pourquoi il était si difficile et parfois risqué de pratiquer le vélo en ville. Si le documentaire est un peu trop centré sur Paris (comme c’est malheureusement souvent le cas quand il s’agit de traiter du sujet), il a le mérite de soulever de nombreuses questions autour des infrastructures et de la question des aménagements cyclables.

Un constat alarmant sur la mortalité à vélo en France

En matière de sécurité à vélo, la France se classe parmi les mauvais élèves européens, entre le Portugal et l’Estonie. En 2022, 245 cyclistes ont perdu la vie sur les routes françaises, soit une hausse de 31 % par rapport à 2019. Malgré le fait que 55 % des ménages français possèdent un vélo, seuls 3 % des trajets sont effectués à vélo, et à Paris, ce chiffre grimpe à peine à 11 %. Ces chiffres sont dérisoires comparés à des villes comme Amsterdam (35 %) ou Copenhague (49 %).

Des infrastructures inadaptées

Pour illustrer la problématique, Explore Media prend l’exemple du boulevard de Sébastopol à Paris, l’axe cyclable le plus fréquenté de France, avec ses deux bandes de 120 cm de large. Chaque jour ouvré, près de 17 000 trajets y sont effectués, soit plus de 4 millions par an, sur une piste étroite coincée entre trottoirs et voitures. Cette autoroute du vélo ne représente que 9 % de la surface de la voie, contre 41 % pour les voitures et 50 % pour les piétons. Le boulevard Magenta, troisième axe cyclable parisien, montre des proportions similaires : 8 % de l’espace pour les cyclistes, 64 % pour les voitures et 28 % pour les piétons.

Des pistes cyclables disparates

Si l’on pratique le vélo en ville au quotidien, notamment pour se rendre au travail, on ne peut que partager le constat que certaines pistes cyclables ont selon toute vraisemblance été construites en dépit du bon sens, avec des arrières-pensées électoralistes, uniquement dans le but de montrer que l’on a bien une politique de mobilité douces. De fait, elles sont souvent le résultat de rénovations successives, menant à une grande hétérogénéité. Certaines voies sont partagées avec les bus, d’autres sont de simples bandes cyclables, et les plus chanceuses sont séparées. Ce manque d’uniformité complique la vie des cyclistes, des automobilistes et des piétons. Rappelons à ce sujet qu’il existe trois principaux types de pistes cyclables en ville : unidirectionnelles, bidirectionnelles et centrales. Les pistes unidirectionnelles sont les plus naturelles et sécuritaires, permettant des intersections simples et claires. En revanche, les pistes centrales et bidirectionnelles complexifient les intersections et placent les cyclistes dans des zones inattendues pour les automobilistes.

Une histoire de désinvestissement

Comme le rappelle Explore Media, en 1979, en pleine crise économique, le gouvernement de Raymond Barre a coupé les subventions au développement des infrastructures cyclables pour privilégier la voiture. Cette décision a eu des conséquences durables, entraînant une perte de compétences en matière de conception d’infrastructures cyclables et un environnement de plus en plus dangereux pour les cyclistes. Le développement du Solex et d’autres deux-roues motorisés a également contribué à une image négative du vélo.

Ailleurs en Europe et dans le monde, des exemples inspirants… et inattendus

Contrairement à la France, des pays comme le Danemark ont fait des choix radicalement opposés. Copenhague est aujourd’hui un modèle mondial, avec un déplacement sur deux effectué à vélo. Cette transformation a commencé dans les années 70 avec une révolte populaire contre un projet d’autoroute. Les Danois ont compris l’importance des pistes cyclables larges et continues, un facteur clé de sécurité et de fluidité. A l’autre bout de l’Europe, en Espagne, en seulement cinq ans, de 2006 à 2011, Séville est passée de 7 000 à 72 000 trajets quotidiens à vélo, grâce à la construction de 120 km de pistes sécurisées. Cette transformation, réalisée en grande partie sur d’anciens stationnements, démontre qu’une volonté politique forte peut entraîner des changements rapides et significatifs. Il y a aussi le cas de Bogota, capitale de la Colombie, qui a fait un pari audacieux en construisant d’immenses pistes cyclables pour désengorger les routes. Aujourd’hui, la ville compte près de 630 km de pistes, facilitant les déplacements pour une large partie de la population.

Des aménagement qui peuvent parfois aller à l’encontre de certaines idées reçues. Contrairement à ce que pensent certains automobilistes, augmenter le nombre de voies pour les voitures ne réduit pas les embouteillages. C’est le principe de la demande induite : plus il y a de voies, plus il y a de voitures. En revanche, ajouter des pistes cyclables réduit la circulation automobile et sécurise de fait la pratique du vélo, comme l’ont montré des exemples à New York et Chicago, où des pistes cyclables ont accéléré le trafic global.

Les cyclistes sont plus à risque en milieu rural qu’en ville

Une fois ces constats effectués, il faut aussi avoir l’honnêteté d’admettre que nombre de pratiquants du vélo en ville ne sont pas non plus exempts de tout reproche, et nous avons souvent eu l’occasion de l’évoquer dans le détail ici. D’autre part, si les infrastructures urbaines comptent pour beaucoup dans la fluidité et l’adoption massive du vélo, elles ne sont pas seules en cause. Car ici aussi il faut aller contre les idées reçues. En effet, contre toute attente, l’augmentation des décès de cyclistes en un an a été observée en milieu rural, et non en milieu urbain. Cela ne résulte donc pas d’un problème lié aux pistes cyclables en ville, bien que des améliorations y soient nécessaires, ni d’une imprudence des cyclistes aux feux. Cette hausse est principalement due à une augmentation du trafic cycliste hors agglomération, à un manque de visibilité des cyclistes par moments, et à une vigilance insuffisante de la part des automobilistes. Selon les données de l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR) 2023, en 2022, 245 cyclistes, dont 43 utilisant des vélos à assistance électrique (VAE), ont été tués sur les routes, marquant une hausse de 31 % par rapport à 2019, soit 58 décès supplémentaires. Durant cette période, la fréquentation cycliste a également augmenté de manière significative, enregistrant une hausse de 44 % par rapport à 2019. La mortalité cycliste présente désormais un profil distinct : 9 victimes sur 10 sont des hommes. Parmi les victimes, 82 % circulaient pour leurs loisirs et 70 % avaient 55 ans ou plus. Depuis 2019, le nombre de décès chez les utilisateurs de VAE dans cette tranche d’âge a presque triplé, passant de 13 à 33, accentuant ainsi leur surreprésentation. En 2022, les hommes de plus de 55 ans représentaient 48 % des cyclistes tués, une part en augmentation depuis 2019 (42 % en 2019, 44 % en 2021), bien que cette tranche d’âge ne constitue que 21 % de la population française. On est donc assez loin du profil du vélotaffeur urbain trentenaire.

Vers un futur cyclable pour nos villes

Dans les grandes agglomérations, le vélo gagne en popularité avec l’augmentation des prix de l’essence et des abonnements aux transports. Paris compte par exemple désormais près de 300 km de pistes cyclables, mais celles-ci sont majoritairement concentrées dans l’hypercentre. A Lyon, on peut compter sur 540 km de voies cyclables, alors que Strasbourg monte sur la plus haute marche du podium avec 600 km d’itinéraires cyclables. Pour encourager l’usage du vélo, les municipalités doivent désormais se concentrer sur le développement de pistes larges, connectées et accessibles, notamment dans les périphéries où les besoins de mobilité sont les plus importants.

Pour inciter nos concitoyens à passer au vélo sans appréhension, il faudra vraiment se pencher sur le cas de l’amélioration des infrastructures, et notamment construire des infrastructures cyclables sécurisées et continues. La France doit s’inspirer des exemples réussis à l’étranger pour rattraper son retard et offrir à ses citoyens un environnement cyclable sûr et agréable.

Spécialiste en innovation dans le domaine du digital et fan d’automobile et de nouvelles mobilités, Eric est éditorialiste sur Cleanrider où il anime la rubrique Roue Libre.


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Commentaires

1 Commentaire
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ARNAUD
21 heures il y a

En Belgique et en Wallonie, l’insécurité sur les pistes cyclables (quand elles existent…) c’est aussi pour y laisser sa vie…l’amélioration des infrastructures est criante…faut repenser la globalité…Si on veut avancer …et moins de tués cyclistes…pour les années prochaines…